Les inégalités posent un défi majeur au développement du Burkina Faso. Plusieurs initiatives sont prises par le gouvernement pour promouvoir un cadre macroéconomique stable et relancer l’activité économique. L’impôt, se présente comme la solution par laquelle l’État peut mobiliser des ressources nationales pour redistribuer la richesse et fournir des services de base essentiels ainsi que des infrastructures sociales de base aux populations. Malheureusement, force est de constater que les besoins peinent à être couverts par les ressources propres collectées, creusant de plus en plus les inégalités. Le Centre d’Etudes et de Recherche Appliquée en Finances Publiques (CERA-FP) dont l’un des objectifs est de travailler à renforcer la justice sociale et économique, a mis en œuvre un certain nombre d’activités, dont la mise en place d’une plateforme d’OSC, un dialogue annuel avec le gouvernement, la société civile et le secteur privé sur la justice fiscale. Mais que savons-nous de la justice ou l’injustice fiscale ? Hermann Doanio, expert en finances publiques et secrétaire exécutif du CERA-FP nous en parle.
Noorinfos : Qu’est-ce qu’une justice fiscale ?
Hermann Doanio : C’est un courant de pensée, de politique économique qui renvoie à une intervention publique axée sur une justice sociale. Donc c’est la prise en compte des populations les plus pauvres mais aussi la réduction des inégalités entre les différentes couches de la population. Elle est axée autour de deux maillons. Le premier qui est de travailler à ce que le système de collecte de l’impôt soit juste. C’est-à-dire une fiscalité progressive qui consiste à prendre chacun selon ses capacités réelles et contributives. Le deuxième pendant est de travailler à la réutilisation des fruits de ces recettes en faveur des dépenses pro pauvres qui permettront de prendre en charge les services essentiels des populations. Il s’agit donc de combler le fossé entre les riches et les pauvres par l’intervention publique.
Quels sont les différents éléments d’injustice fiscale au Burkina ?
Au Burkina, la fiscalité directe est moindre que la fiscalité indirecte. En 2018, la TVA qui est un des éléments de la fiscalité indirecte représentait 42% environ des recettes collectées pendant que la fiscalité directe qui est assise principalement sur l’impôt sur les sociétés, l’IBICAR, le BIC, le BNC et l’impôt unique sur le traitement des salaires sont en deçà de ce taux. Ce qui veut dire que notre système fiscal dans sa globalité n’est pas très juste. Egalement le fait que le taux de la TVA soit un taux unique applicable sans prendre en compte le niveau de vie des citoyens, ni le montant de la recette à collecter, fait en sorte qu’il y a une certaine inéquitté dans le système. Nous voulons donc que cette injustice soit corrigée par l’instauration d’une fiscalité des taux progressifs sur la TVA. C’est-à-dire que les biens de luxe soit plus taxés en terme de TVA que les biens de première nécessité ou biens vitaux pour les populations. Une autre injustice, c’est le fait que les dépenses publiques profitent plus aux riches. C’est-à-dire que le volume de dépenses publiques et le flux de dépenses publiques au profit des populations urbaines sont plus élevés que celles en faveur des populations des zones rurales et qui ont des besoins primaires (éducation, santé, eau potable et assainissement etc.) qui ne sont pas satisfaits.
Quelles sont les conséquences de ces injustices ?
Lorsque vous brimez une grande partie de la population, vous radicalisez cette population. La radicalisation a deux principaux maux que sont la recrudescence de l’insécurité et le reniement de l’autorité de l’Etat et les populations deviennent intolérants.
Que disent les chiffres ?
La pauvreté n’a vraiment pas reculé depuis qu’il a été mis en place des cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté. Depuis 2015 et 2016, le Burkina fait face à des assauts de groupes terroristes qui peut s’expliquer par le fait qu’il y a une marginalisation des régions les plus touchées. L’emprunt de la courte échelle est devenu courant et les populations s’adonnent à des activités malsaines qui peuvent même mettre en péril la sureté de l’Etat. Le nombre de personne déplacées internes ne fait qu’augmenter. Ce sont donc des éléments assez alarment pour un pays qui cherche sa voie de développement.
Que faire donc pour y remédier ?
Il s’agit donc de travailler à ce que les investissements publics dans ces différents domaines puissent être nivelés et que les populations des zones rurales puissent sentir également les effets de l’exécution budgétaire dans ces secteurs. Cela leur permettra non seulement d’avoir accès à ces services essentiels mais aussi de pouvoir avoir des capacités de résilience beaucoup plus accrus. Cela participera à une certaine justice fiscale et ils pourront se reconnaitre dans une communauté qu’on appelle Etat et contribueront à la construction et au développement économique du pays. Le peuple a aussi sa part de responsabilité notamment en interpellant les gouvernants et en faisant des demandes de redevabilité pour qu’ils interviennent en produisant des résultats. Nous sommes tous défaillants chacun à son niveau. Donc l’idéal est de travailler à rehausser ou à faire un examen de conscience pour aller vers une intervention publique qui répond aux besoins et aspirations des populations.