La situation nutritionnelle de la population burkinabè n’est guère reluisante. Elle est marquée par une persistance de la sous-nutrition sous toutes ses formes et par l’apparition de plus en plus de problèmes liés à la surcharge nutritionnelle. La malnutrition qui en est une conséquence directe sévit sous toutes ses formes principalement chez les enfants de moins de cinq ans et chez les femmes en âge de procréer. Cette situation nutritionnelle est due selon les spécialistes à plusieurs facteurs. Mais dans la région du Sahel plus précisément à Dori, le phénomène a la peau dure simplement parce que certaines familles pensent se servir de la situation nutritionnelle de leurs enfants pour avoir des rations alimentaires.
Une étude sur le coût de la faim en 2012 a révélé que le Burkina Faso perd en moyenne 409 milliards de FCFA soit plus de 7% de son PIB du fait de la sous nutrition. Ce coût est essentiellement dû à la perte des capacités productives du fait de la mortalité supplémentaire induite par la malnutrition. En outre, le poids de cette sous-nutrition sur les secteurs de la santé et de l’éducation représente de lourds fardeaux pour les ménages et le système public. La malnutrition, surtout pendant la petite enfance, a d’importantes conséquences sur la santé. Elle entraine un retard de développement physique et cognitif et une augmentation des risques d’infection et de mortalité. Au Burkina Faso, plus d’un tiers des décès des enfants de moins de cinq ans sont attribuables directement ou indirectement à la malnutrition. Pour faire face à la situation nutritionnelle préoccupante, le gouvernement burkinabè s’est engagé à renforcer le système de surveillance nutritionnelle dans toutes les régions du pays. Mais hélas, le phénomène a la peau dure dans le Sahel du fait de l’inconscience de certains parents.
La bagarre pour la ration alimentaire
Dame Khadi, est la grand-mère de la petite Samakatou. C’est elle qui assure sa charge car sa maman est décédée de suite d’une maladie et son père assassiné dans une attaque à Yero-Poli dans la commune d’Arbinda. « Il y a un an, nous avons constaté que l’enfant n’avait plus d’appétit et prenait une forme anormale. Nous nous sommes rendus au Centre médical urbain de Dori où l’enfant a été rapidement pris en charge par le service de nutrition », explique-t-elle. Mais ayant pris goût à la ration alimentaire hebdomadaire, dame Khadi a oublié que la fin de la maladie de sa petite fille est synonyme de fin de ration alimentaire. « Au début, on nous donnait des chocolats, des comprimés vitaminés et souvent, on administrait des injections à l’enfant. Au bout d’un an, Dieu merci l’enfant a pris forme et a commencé à bien manger mais depuis, plus de ration et nous sommes livrées à nous-même », se désole-t-elle.
Ce genre de plainte, le Dr Viviane Ouédraogo, médecin généraliste au CMU/Dori en rencontre au quotidien. En effet dans d’autres contrés, c’est une honte pour les parents lorsque l’enfant tombe dans la malnutrition. Mais dans la région du Sahel, c’est tout le contraire. « Lorsqu’on reçoit un enfant qui n’est pas dans la malnutrition, la mère se plaint parce que son enfant n’aura pas de ration alimentaire. Et à sa prochaine visite, vous remarquez que l’enfant est tombé dans la malnutrition. Parfois même lorsque l’enfant est guéri et qu’on doit le sortir du programme, c’est tout un problème. C’est à croire que les parents font exprès. La ration est calculée pour l’enfant mais ce que nous remarquons, est que des papas retirent même la ration puisqu’elle est énergétique. Et généralement, une ration qui devrait faire une semaine ne dure même pas deux. Ce qui fait que la rechute est très fréquente », explique le médecin. Tout porte donc à croire que les parents ont un meilleur regard pour l’enfant malnutri.
Une situation assez préoccupante
L’enquête SMART 2020 sur la situation nutritionnelle, montre que les prévalences de la malnutrition aiguë, de la malnutrition chronique et de l’insuffisance pondérale au plan national, étaient respectivement de 9,1 % (dont 1,0 % sous la forme sévère) ; 24,9 % et 17,6 %. La surcharge pondérale a concerné 2,8% des enfants dont 1,9% d’enfants souffrant d’obésité. L’évaluation de la situation nutritionnelle des femmes en âges de procréer montre une prévalence de la malnutrition aiguë de 4,1% selon le périmètre brachial (PB) et de 9,0% selon l’indice de masse corporelle (IMC). Parmi ces femmes, 13,5% était concerné par le surpoids et 7,6% par l’obésité. Pour ce qui est des pratiques optimales d’ANJE, 63,4% des enfants de 0-23 mois ont bénéficié d’une mise au sein précoce et 64,3% des enfants ont été exclusivement allaités. La poursuite de l’allaitement a été effective chez 96,4 % des enfants de 12 à 15 mois. Elle a été effective chez 80,1 % des enfants âgés de 24 mois. Pour ce qui est de l’alimentation de complément, 29,2 % des enfants ont consommé au moins quatre groupes d’aliment et 21,9 % ont bénéficié d’une alimentation minimale acceptable. Quant aux femmes en âge de procréer (15-49 ans), 17,5 % d’entre elles ont consommé au moins cinq groupes d’aliments et 81,7% ont pris plus de 90 comprimés de fer/acide folique au cours de leur dernière grossesse. Par ailleurs, 89.6% des ménages disposaient de sel iodé. Enfin, le taux brut de mortalité chez les moins de cinq ans durant les 90 jours précédant l’enquête était de 0,190‰0/j au niveau national.
La situation humanitaire demeure préoccupante en raison du climat d’insécurité qui règne dans le pays depuis 2015 et des déplacements massifs de populations vers les zones moins à risques, limitant considérablement l’accès des déplacés internes et des populations hôtes aux services de santé de base. Cette situation entraine par ailleurs la fermeture de certaines formations sanitaires dans les zones touchées par l’insécurité. Au cours de l’année 2019, la situation sécuritaire et humanitaire s’est rapidement détériorée dans les régions du Nord, du Centre-Nord, du Sahel, de la Boucle du Mouhoun et de l’Est du Burkina. Cette dégradation a entraîné un accroissement substantiel des déplacements internes et aggravé l’accès déjà très limité aux services sociaux de base dans un contexte de pauvreté dans ces localités. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des nations unies (OCHA), 2,2 millions de Burkinabè ont un besoin humanitaire de plus en plus croissant dans tous les secteurs. Parmi ceux-ci, on compte 1 034 609 déplacés internes à la date du 08 septembre 2020 et plus de 1,2 millions étaient directement privées d’un accès aux soins de santé. Au total, 250 localités sont concernées par le repli massif des PDI dont les six plus importantes avec près de 50% des PDI sont : Djibo (163960), Kaya (102975), Barsalogho (87374), Gorgadji (43651), Dori (42033) et Fada N’Gourma (32526).
De la prévalence de la malnutrition chronique, la région du Sahel se distingue particulièrement avec une prévalence au-dessus du seuil critique de l’OMS avec 43,1% de malnutrition chronique soit une hausse de 6,4% par rapport à 2019 qui était de 25,3% (22,2-28,7).
Au niveau provincial, le Seno affiche la prévalence la plus élevée (43,2%) de malnutrition chronique, un niveau en baisse par rapport à 2019 (45,7%). En 2019, trois provinces présentaient également une prévalence au-dessus du seuil d’alerte notamment la Comoé, la Tapoa et le Séno. Par ailleurs, la province du Séno se situe au-delà du seuil d’urgence (40 %) en termes de prévalence de la malnutrition chronique globale. La prévalence la plus élevée de malnutrition chronique sévère est retrouvée dans la province du Seno (16,6%) contre 18,8 % en 2019 et la plus faible dans l’Oubritenga avec 1,4%.
Au niveau régional, la prévalence la plus élevée d’insuffisance pondérale est enregistrée dans la région du Sahel avec 32,9% contre 25,3% [22,2-28,7] en 2019 pour la même région et la plus faible dans la région du Centre avec 11,1% en augmentation par rapport à 2019 (9,6%) [6,8-13,5] pour la même région. Au niveau provincial, le Seno affiche la prévalence la plus élevée avec 36,6%en augmentation par rapport à 2019 (32,2 %) alors que la plus faible prévalence est enregistrée dans la province du Kadiogo (11,1%) en augmentation par rapport à 2019 (9,6). Pour l’insuffisance pondérale sévère, la prévalence la plus élevée a été notifiée dans la province du Seno (12,9%) et la plus faible dans l’Oubritenga (0,9%). De la malnutrition aiguë, les régions du Sahel, du Plateau central et de l’Est viennent en tête avec respectivement 8,2% dont 2,2 de forme sévère, 2,7% dont 0,8% de forme sévère et 2,6% dont 0,2% de forme sévère.
Renforcer la surveillance
On retient donc que la situation reste précaire avec une dégradation dans certaines régions telles que le Sahel où les prévalences de la malnutrition sont au-delà du seuil d’urgence de l’OMS (respectivement 15,1% pour la malnutrition aiguë, 43,1% pour la malnutrition chronique et 32,9% pour l’insuffisance pondérale). Les indicateurs d’ANJE malgré leur légère amélioration par rapport l’année 2019, restent toujours faibles. Des efforts restent donc à faire pour relever les indicateurs sur les pratiques optimales d’ANJE qui sont reconnues comme un des principaux facteurs de la survenue de la malnutrition chez les jeunes enfants. Par ailleurs, les prévalences du surpoids et de l’obésité chez les enfants et chez les FAP montrent que la problématique de la surnutrition prend de plus en plus de l’ampleur dans la population de façon générale. Il faudra donc renforcer la surveillance de la situation nutritionnelle dans les localités à forte prévalence de la malnutrition.
AZONHANDE Abel