Alors que la France s’efforce de redéfinir sa présence en Afrique à travers un retrait progressif et discret de ses forces militaires, une réalité parallèle vient brouiller ce message de désengagement : l’implantation de sociétés militaires privées (SMP) employant des ressortissants français. Cette dynamique soulève des questions éthiques, politiques et stratégiques, tant pour les États africains que pour l’état-major des armées françaises.
Des anciens militaires français sous d’autres bannières
Dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, notamment au Bénin, ces sociétés – souvent anglo-saxonnes – recrutent d’anciens militaires français pour assurer des missions de formation, de conseil ou de sécurisation d’infrastructures. Parmi elles, la société américaine Amentum déploierait actuellement plusieurs ex-légionnaires français dans le cadre du programme américain AfriCap.
Pour beaucoup de ces anciens soldats, il s’agit d’une continuité logique de carrière. Après des années de service actif, ils retrouvent dans ces SMP un terrain familier et des opportunités économiques qu’ils ne trouvent pas dans le civil. « Je n’ai pas l’impression de trahir quoi que ce soit. Je continue à mettre mes compétences au service de causes de stabilité », témoigne sous anonymat un ancien sous-officier de l’armée française, aujourd’hui basé à Cotonou.
Une ambiguïté dérangeante pour Paris
Du point de vue de l’état-major français, cette situation n’est pas sans embarras. Elle brouille le message de retrait voulu par le président Emmanuel Macron, qui avait annoncé en 2023 la fin des opérations extérieures massives en Afrique au profit de partenariats plus équilibrés.
« Nous sommes dans une logique de retrait assumé, fondé sur le respect de la souveraineté des pays partenaires. La présence de SMP étrangères employant d’anciens militaires français peut être interprétée comme une ingérence déguisée », confie un haut gradé du ministère des Armées.
Cette ambiguïté alimente la suspicion dans l’opinion publique africaine. Certains y voient une stratégie de présence militaire “masquée” qui maintiendrait une forme d’influence française, malgré le départ officiel des troupes.
Une régulation française en décalage
La France, contrairement à d’autres puissances comme les États-Unis, le Royaume-Uni ou la Russie, ne dispose pas de sociétés militaires privées autorisées à exercer des missions armées. La loi française de 2003 interdit le mercenariat, limitant l’action des SMP à des fonctions de logistique ou de protection sans recours à la force armée.
Ce cadre juridique rigide, qui se veut éthique, laisse néanmoins le champ libre à des acteurs étrangers. En conséquence, les Français travaillant pour ces sociétés le font souvent sans encadrement ni supervision de l’État français, ce qui accentue les risques d’incidents ou de manipulations.
Quel rôle pour l’État ?
La question centrale reste aujourd’hui celle de la responsabilité. Peut-on, au nom de la liberté contractuelle, fermer les yeux sur des engagements individuels qui contredisent une stratégie nationale ? Doit-on envisager une réforme du cadre juridique pour encadrer – voire interdire – ce type de reconversion dans certains contextes géopolitiques sensibles ?
Derrière ces débats techniques se pose une interrogation plus profonde : quel message la France veut-elle envoyer à ses partenaires africains ? Et comment respecter les engagements de retrait sans renier les réalités du marché sécuritaire international ?
Un défi pour l’avenir
Alors que les États du Sahel et d’Afrique de l’Ouest cherchent à bâtir une sécurité souveraine, la présence de ces sociétés privées – fréquemment perçues comme de nouveaux acteurs opaques – risque d’affaiblir les efforts de confiance et de coopération.
C’est désormais à l’État français de clarifier sa position, non seulement vis-à-vis de ses anciens militaires, mais surtout vis-à-vis des peuples africains, en quête de relations internationales plus transparentes et équitables.