Le président togolais Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005, devient président du conseil des ministres, nouvelle plus haute fonction de l’État après une réforme constitutionnelle controversée. Une manœuvre qui, selon l’opposition, vise à institutionnaliser le pouvoir à vie. Décryptage d’un tournant politique majeur.
Un changement de façade, pas de système
Le samedi 3 mai 2025, à Lomé, Faure Gnassingbé a prêté serment en tant que président du conseil des ministres, nouvelle fonction issue d’une réforme constitutionnelle adoptée sans référendum populaire. Ce changement institutionnel, qui remplace le régime présidentiel par un régime parlementaire, est présenté par le pouvoir comme un pas vers une modernisation politique. Mais pour beaucoup, il s’agit surtout d’un déplacement stratégique du centre du pouvoir exécutif, permettant à Gnassingbé de rester aux commandes sans s’exposer à une nouvelle élection présidentielle.
Un pouvoir qui se reconfigure pour durer
Depuis l’indépendance, le Togo est dirigé par la même famille : Eyadéma Gnassingbé pendant 38 ans, puis son fils Faure depuis 2005. La réforme actuelle s’inscrit dans une série de mécanismes destinés à échapper à l’alternance démocratique, sous des formes juridiquement acceptables. En supprimant la présidence comme fonction exécutive principale et en confiant cette dernière au président du conseil des ministres — un poste désormais occupé par Faure — le régime opère un glissement légal vers une concentration du pouvoir, jugée préoccupante par les observateurs.
L’opposition en alerte, le peuple en attente
Les partis d’opposition et les organisations de la société civile dénoncent un « coup d’État constitutionnel » et une volonté de rester « président à vie » par des moyens légaux. Dans la rue, une lassitude s’installe, particulièrement chez une jeunesse qui compose plus de 60 % de la population et dont les aspirations démocratiques sont de plus en plus étouffées.
Silence gênant de la communauté internationale
La CEDEAO et l’Union africaine, habituellement promptes à condamner les putschs militaires, restent muettes face à cette dérive institutionnelle. Une attitude qui suscite des interrogations sur la cohérence des positions internationales en matière de gouvernance en Afrique de l’Ouest. Certains analystes dénoncent un double standard : les coups de force militaires sont sanctionnés, mais les coups de force constitutionnels passent, tant qu’ils garantissent une forme de stabilité.
Un avenir verrouillé ?
Alors que les voix dissidentes sont muselées, que l’opposition est fragmentée et que les réformes sont imposées sans véritable consultation populaire, le champ politique togolais semble réduit à un théâtre à huis clos, où le pouvoir s’auto-entretient. À défaut d’une volonté politique de partage ou de transition, le risque d’une implosion sociale ne peut être écarté à moyen terme.
En s’arrogeant la présidence du conseil des ministres après vingt ans de règne, Faure Gnassingbé confirme la mainmise d’un pouvoir qui s’adapte pour survivre, non pour se transformer. Derrière la vitrine constitutionnelle, c’est un système de gouvernance héréditaire et verrouillé qui se renforce. L’histoire du Togo continue donc de s’écrire sans réelle alternance, dans un contexte régional où l’aspiration à la démocratie peine à se faire entendre.