Ce qui se joue aujourd’hui à la tête de l’État sénégalais ressemble moins à une divergence de trajectoire qu’à une lutte feutrée, mais bien réelle pour la maîtrise du cap. Depuis leur victoire commune au soir du 24 mars 2024, le duo Diomaye–Sonko était perçu comme la promesse d’un renouvellement démocratique. Mais quelques mois après leur accession au pouvoir, la cohabitation entre le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko montre ses limites.
L’idéal révolutionnaire se fissure sous les coups de la réalité politique. L’un incarne la légitimité constitutionnelle, élu au suffrage universel direct ; l’autre, figure de proue d’une contestation populaire transformée en puissance politique, porte l’aura de celui qui a souffert, sacrifié, puis galvanisé les foules.
Cette dualité, mal contenue dès l’origine, était vouée à entrer en friction. Elle n’est pas une surprise. Elle est la suite logique d’un attelage inédit, né d’un arrangement politique temporaire, mais sans ancrage institutionnel solide.
Depuis plusieurs semaines, les signaux d’un désaccord profond sont désormais publics : divergences de ton gestuelles protocolaires évocatrices, et plus récemment, déclarations fermes de Sonko affirmant qu’il ne démissionnera pas. Le président, en retrait, semble jouer la montre, misant sur son autorité constitutionnelle et son silence stratégique.
Mais ce silence devient inquiétant, car il est interprété par certains comme un aveu de faiblesse ou de désaccord non assumé.
Or, le Sénégal n’est pas dans une situation anodine. Ce pays qui a longtemps été cité en exemple pour la stabilité de ses institutions se retrouve aujourd’hui pris au piège d’un bicéphalisme informel. Les textes sont clairs : le président incarne l’autorité suprême. Mais dans les faits, l’homme fort, c’est encore Sonko. Il occupe l’espace médiatique, il galvanise ses troupes, et il trace la ligne idéologique. Ce déséquilibre crée un malaise profond et interroge : qui gouverne réellement le Sénégal ?
Il serait réducteur de résumer ce bras de fer à une simple guerre d’égos. Il s’agit aussi de la première grande épreuve du pouvoir pour le tandem. Peut-on gouverner ensemble quand l’un rêve d’une rupture radicale, et l’autre d’un exercice tempéré du pouvoir ? Peut-on conduire un pays quand les désaccords se règlent devant les micros au lieu d’être arbitrés dans l’ombre des conseils restreints ? La maturité politique commence là : dans l’humilité du dialogue, pas dans l’ivresse des postures.
Si les deux hommes veulent encore incarner ce changement qu’ils ont promis, alors ils doivent urgemment rétablir un climat de confiance au sommet. Il ne s’agit plus seulement de gouverner : il s’agit de rassurer. Le peuple sénégalais n’a pas voté pour assister à une répétition de l’histoire de 1962 entre Senghor et Mamadou Dia, mais pour rompre avec la verticalité arrogante du passé.
La révolution démocratique ne peut s’accomplir sans une culture institutionnelle forte, ni sans la clarté des rôles. Il est donc temps de trancher : ou bien le duo retrouve sa cohésion initiale, ou bien l’un devra assumer pleinement les responsabilités de chef. Le Sénégal mérite mieux que des tiraillements au sommet. Il mérite un cap, une ligne, une équipe.